La présente étude présente une analyse de l’intégration économique des immigrants de langue
française au Canada vivant en dehors du Québec à partir d’une approche longitudinale, celle de
l’analyse de survie. Son origine émane des nombreux travaux qui ont abordé la question de
l’intégration des immigrants au Canada selon une méthode qui se voulait aussi longitudinale, mais
fondée sur l’analyse de cohortes synthétiques construites, le plus souvent, à partir des recensements
canadiens.
Notre étude utilise des données administratives, soit la Banque de données longitudinales des
immigrants (BDIM). La BDIM contient des informations sur le revenu de tous les immigrants
arrivés au Canada depuis le début des années 1980 provenant des données fiscales couplées au
fichier des résidents permanents de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Pour cette étude,
nous avons sélectionné les immigrants de langue française arrivés au pays entre 1983 et 2010 et
vivant en dehors du Québec.
L’application de l’analyse de survie a permis de construire des tables d’extinction (ou tables de
survie) qui rendent comptent de l’intégration économique des immigrants. Ces tables reposent sur la
probabilité qu’un immigrant déclare un revenu d’emploi égal ou supérieur au revenu d’emploi des
personnes nées au Canada (ou revenu de référence) dans une province et une année donnée et selon
son sexe, sachant qu’il n’a pas atteint ce niveau de revenu d’emploi dans le passé depuis qu’il est
devenu résident permanent. C’est la variable indépendante que l’on cherche à expliquer. La fonction
des probabilités de base (ou tout simplement fonction de base) est calculée selon la durée de
résidence au pays, en années. Le revenu de référence a aussi été calculé sur la base des données
fiscales provenant du fichier des Données administratives longitudinales (DAL).
En plus du revenu, la BDIM permet de connaître certaines caractéristiques des immigrants. La
plupart des données sur ces caractéristiques sont recueillies à l’arrivée de l’immigrant au pays. On
connaît par exemple la catégorie d’immigration, la langue maternelle, la connaissance des langues
officielles, le niveau du diplôme le plus élevé et le pays de naissance. Des données sur d’autres
caractéristiques peuvent être obtenues à partir des données fiscales qui comprennent des
informations sur la province de résidence et l’état matrimonial. Ce sont des caractéristiques qui sont
donc susceptibles de changer avec le temps.
L’accent de notre recherche a été mis sur les caractéristiques linguistiques des immigrants, sur les
autres caractéristiques pouvant influencer les capacités linguistiques et de façon générale, sur les
facteurs ayant une incidence sur les revenus. Les résultats des analyses prennent deux formes. À
partir des tables de survie, nous avons calculé un indicateur de tendance centrale, le temps médian
d’atteinte du revenu de référence, et reproduit des éléments des tables comme les pourcentages
cumulés d’immigrants ayant atteint le revenu de référence pour des durées de résidence données.
De plus, des analyses multivariées réalisées au moyen de la régression à risques proportionnels en temps
discret ont permis d’étayer les résultats établis à partir des tables de survie et d’en mesurer l’impact
dans le contexte d’un modèle statistique qui isole l’effet du temps de résidence au pays et les effets
de composition issus de la distribution de la population selon les différentes variables individuelles.
Les principaux résultats de cette étude sont les suivants :
Une différence entre hommes et femmes a d’abord été constatée. Les femmes atteignent plus
rapidement que les hommes le revenu de référence. Une des explications de ce résultat tient à la
définition de la variable indépendante qui a été calculée séparément pour chaque sexe. Il serait plus
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facile pour les immigrantes d’atteindre le revenu moyen des femmes nées au Canada (les natives)
qu’il ne l’est pour les immigrants d’atteindre le revenu moyen des natifs. La raison en est que les
hommes natifs du pays déclarent proportionnellement davantage de hauts revenus que les femmes
natives, ce qui pousse vers le haut le revenu moyen des natifs par rapport aux natives, rendant le
revenu moyen des natives plus « rapidement atteignable » par les immigrantes que ne l’est le revenu
moyen des natifs par les immigrants masculins.
Nous avons trouvé que la vitesse d’atteinte du revenu de référence varie peu selon la cohorte
d’arrivée, que ce soit chez les hommes ou chez les femmes. Toutefois, ce résultat change lorsque l’on
isole l’effet des variables individuelles. Dans le contexte de l’analyse multivariée, on observe une
baisse de la probabilité d’atteindre le revenu de référence de la plus ancienne à la plus récente
cohorte. Cette baisse se produit essentiellement au cours de dix premières années de résidence. En
d’autres termes, les cohortes les plus anciennes ont mis moins de temps à atteindre le revenu de
référence que les cohortes les plus récentes.
L’âge à l’arrivée et les caractéristiques reliées au capital humain ont l’effet attendu sur l’atteinte du
revenu de référence. L’âge à l’arrivée, la catégorie d’immigration, les caractéristiques linguistiques et
le niveau d’éducation sont tous fortement associés à l’atteinte du revenu de référence. L’âge à
l’arrivée et le niveau d’éducation se présentent comme des gradients : plus l’âge à l’arrivée est jeune
et plus le niveau d’éducation est élevé, plus l’atteinte du revenu de référence est rapide. La catégorie
d’immigration joue un rôle non négligeable. Les travailleurs qualifiés se démarquent des autres
groupes par leur probabilité plus élevée d’atteindre le revenu de référence. Ils ne sont rejoints, de ce point de vue, que par les immigrants recrutés sous le programme des candidats des provinces ou des territoires qui affichent des probabilités plus élevées encore, surtout chez les femmes. Il est possible que les provinces et territoires réussissent à mieux sélectionner les immigrants en fonction des besoins propres à leur du marché du travail.
Le groupe linguistique, créé à partir des caractéristiques linguistiques (langue maternelle et
connaissance des langues officielles), a une incidence marquée sur la « réussite » économique des
immigrants de langue française. Deux résultats s’imposent. La connaissance des deux langues
officielles à l’arrivée au pays et, en réalité la connaissance de l’anglais, est positivement associée à
l’atteinte du revenu de référence chez les hommes et chez les femmes. Les immigrants de langue
française qui ne connaissent que le français à l’arrivée sont désavantagés par rapport aux bilingues.
Nous avons également mis en lumière le fait que les femmes unilingues (qui ont déclaré ne parler
qu’une seule langue officielle à l’arrivée, soit le français) faisaient l’expérience d’une progression
substantielle de leur intégration économique à partir de la cinquième année de résidence au pays.
Les immigrants de langue française établis hors Québec proviennent de toutes les régions du monde. Nos résultats ont montré que les immigrants nés en Europe et en Océanie affichent une meilleure intégration économique que les autres groupes. Ce constat est très général, car il existe des différences notables selon la région spécifique voire le pays de naissance. De plus, l’effet du lieu de naissance n’est pas exactement le même chez les hommes et chez les femmes.
Les immigrants originaires des grands pays anglo-saxons, comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, atteignent rapidement le revenu de référence, ce qui est particulièrement marqué chez les hommes. L’effectif de ce groupe est toutefois peu important. Les immigrants originaires de pays européens comme la France, l’Allemagne et la Roumanie font également l’expérience d’une intégration économique rapide. Par contre, nos résultats indiquent que le fait de provenir d’un pays de langue française ou de langue anglaise situé hors d’Europe et d’Océanie n’est pas associé à une meilleure intégration économique. Mais il y a des différences entre hommes et femmes lorsqu’on iv isole l’effet des autres variables individuelles. Les résultats des modèles de régression ont permis de constater que les femmes de langue française originaires d’Afrique subsaharienne et des Amériques ont une probabilité d’atteindre le revenu de référence comparable aux immigrantes françaises et européennes en général. L’un des facteurs contribuant à expliquer leur succès économique est leur degré élevé d’intégration à partir de la cinquième année de résidence au pays.
Notre conclusion finale porte sur les thèmes de recherche qu’il conviendrait d’approfondir. Le
premier de ceux-ci est certainement celui de l’intégration économique des femmes immigrantes qui est moins étudié que celle des hommes. Une autre avenue de recherche pourrait porter sur la
comparaison de l’approche longitudinale choisie pour le présent rapport avec l’approche
longitudinale par cohortes synthétiques. De plus, il ne faudrait pas se limiter aux seuls immigrants
francophones hors Québec, mais inclure l’ensemble des immigrants vivant au sein de communautés de langue officielle en situation minoritaire, soit les immigrants de langue anglaise vivant au Québec.
Le thème des catégories économiques d’immigration pourrait être approfondi, encore une fois en
incluant l’ensemble des immigrants. Est-ce que le succès économique des candidats des provinces ou
des territoires s’observe chez les autres groupes d’immigrants et dans l’ensemble des provinces et
territoires où ce programme existe?
L’intégration économique des immigrants de langue française hors Québec. Une approche longitudinale
Titre
Description
Type de document
Rapports de recherche
Auteur
René Houle
Langue
Français