Le Canada a une longue histoire d’immigration et d’intégration des immigrants. La
diversification récente des flux migratoires a toutefois eu des impacts profonds sur les formes de
régulation politique. C’est notamment le cas pour les communautés de langue officielle en
situation minoritaire (CLOSM). Depuis plusieurs années, le déclin du nombre des Canadiens de
langue maternelle française a conduit à penser l’immigration comme un moyen de compenser la
baisse du nombre de francophones hors Québec et de contribuer à la « vitalité », voire à la survie
des communautés. Des plans spécifiques d’attraction et de rétention des immigrants francophones
ont été mis en place depuis les années 2000, faisant qu’aujourd’hui une proportion importante des
communautés francophones en milieu minoritaire est immigrante, à l’origine de nouveaux
espaces francophone, plurilingue et multiculturel.
Les communautés francophones en situation minoritaire sont à considérer comme des espaces au
sein desquelles les frontières sont en redéfinition. L’intérêt d’analyser ces petits espaces réside
dans la concentration et la mise à jour de clivages essentiels au Canada en matière de
diversité linguistique, ethnique et religieuse, des interactions entre bilinguisme, multiculturalisme
et fédéralisme comme des enjeux de citoyenneté dans un contexte de gouvernance néolibérale.
Comment ces espaces sont-ils agencés ? Comment ces communautés s’organisent-elles pour
mettre en place des stratégies de recrutement, d’accueil et d’intégration des nouveaux arrivants
d’expression française dans le contexte de revendication des droits linguistiques au Canada ?
Comment ces stratégies de recrutement, d’accueil et d’intégration des immigrants dans le
contexte de revendication des droits linguistiques au Canada mises en place par les communautés
s’insèrent-elles, mais aussi (re)structurent ces espaces ?
La prise en compte de l’altérité au sein des communautés francophones en situation minoritaire a
évolué au cours du temps et l’on est passé d’une représentation nationale très homogène du
Canada français à une vision communautaire beaucoup plus fragmentée, les provinces faisant
figure d’un nouvel espace de référence à partir des années 1960. La prise de conscience de la
diversification ethnoculturelle induite par l’immigration internationale dans les années 1990 a
changé les contours de ces nouveaux espaces et a modifié considérablement les représentations
de soi et de l’Autre, les communautés francophones découvrant l’altérité en leur sein. Penser les
minorités au sein d’une minorité a profondément transformé la donne communautaire, et c’est
dans ce contexte que l’immigration s’est imposée — non sans tensions — comme un facteur de
revitalisation.
Bien que la recherche universitaire ne se soit intéressée que très récemment à l’ethnicité et à
l’immigration au sein de la francophonie canadienne, l’on dispose aujourd’hui d’une littérature
bourgeonnante portant essentiellement sur les thématiques de l’identité et de la vitalité des
communautés, tout en étant structurée par l’approche par continuum (attraction, sélection,
accueil, établissement, rétention). Peu de travaux ont toutefois privilégié une approche en termes
de politiques publiques et cette étude entend enrichir ce corpus.
Nous avons choisi de comparer la Colombie-Britannique et le Manitoba. Si les deux provinces
sont très distinctes sur les plans historiques, sociodémographiques et géographiques, elles
partagent cependant des caractéristiques institutionnelles identiques : ayant signé des ententes
avec le gouvernement fédéral qui leur donnaient des pouvoirs accrus en matière de sélection,
d’accueil et d’installation des immigrants, les deux provinces ont aussi fait face à la
recentralisation de la gestion des programmes d’établissement par le gouvernement fédéral
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(effectif en 2013 pour le Manitoba et en 2014 pour la Colombie-Britannique). Dans ce contexte
de similarités et de différences, nous avons privilégié un design comparatif de type « most similar
cases » qui nous permet de mieux isoler les facteurs de différenciation entre les deux cas puisque
les contraintes institutionnelles sont similaires.
Nous avons combiné plusieurs méthodes de collecte de données : revue des travaux portant sur
l’immigration francophone en milieu minoritaire (i), traitement et analyse de données statistiques
sur l’immigration et les minorités francophones au Manitoba et en Colombie-Britannique (ii),
étude des principaux textes de lois adoptés par les gouvernements fédéral, britanno-colombien et
manitobain depuis les années 1990 ainsi qu’analyse des rapports communautaires et
gouvernementaux publiés depuis l’an 2000 (iii), revue de presse sur l’immigration francophone
dans les deux communautés (iv), entretiens semi-directifs (v) et finalement observation
participante en Colombie-Britannique (vi).
L’immigration francophone dans les CLOSM renvoie à travers plusieurs régimes législatif et
politique : le multiculturalisme, l’immigration et les langues officielles. Traitant de
problématiques distinctes les unes des autres, celles-ci n’en sont pas moins interreliées. Pour le
gouvernement fédéral, ce régime se caractérise essentiellement par la Loi sur les langues
officielles (1969), la Charte canadienne des droits et libertés (1982), la Loi sur le
multiculturalisme (1988) et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (2002). De cet
ensemble légal, découle plusieurs plans stratégiques pour favoriser l’immigration dans les
CLOSM (le plus récent étant la Feuille de route pour les langues officielles du Canada) et
l’établissement de cibles (4,4 %) en matière d’immigrants d’expression française.
Dans ce contexte de contraintes similaires, un régime politico-légal distinct prévaut au sein de
chaque province. Les deux provinces ont adopté une législation spécifique en termes de
multiculturalisme : Loi sur le multiculturalisme au Manitoba (1992) et Multiculturalism Act
(1993) en Colombie-Britannique. Elles ont aussi signé une série d’accords avec le gouvernement
fédéral sur l’immigration et l’intégration (depuis 1996 pour le Manitoba et 1998 pour la
Colombie-Britannique), ententes annulées en 2012 par le gouvernement fédéral. Cependant, les
provinces restent actives en termes de sélection des immigrants à travers le Programme des
candidats des provinces. En matière de langues officielles, les législations provinciales diffèrent
significativement, seule la province du Manitoba ayant une Politique sur les services en langue
française et une cible en matière d’immigration francophone (7 %).
Sur un plan démographique, l’immigration francophone dans les deux provinces est une
immigration récente (arrivée après 1996) et en pleine croissance. Les immigrants d’expression
française composent donc une proportion de plus en plus importante au sein des CLOSM (25 %
en Colombie-Britannique contre 5 % au Manitoba Statistique Canada en 2006).
Le nombre d’immigrants parlant français admis a évolué au cours des dix dernières années. Que
la Colombie-Britannique accueille plus d’immigrants parlant français que le Manitoba en nombre
absolu n’est pas une surprise. Plus étonnant est le fait que de 2006 à 2011, la province a accueilli
un pourcentage d’immigrants parlant français plus important qu’au Manitoba (avec un maximum
de 4,6 % en 2007). Le Manitoba peine à se rapprocher de sa cible de 7 %, le plus fort taux
d’immigration étant de 3,8 % en 2012. Toutefois, depuis 2010, le nombre d’immigrants parlant
français en Colombie-Britannique ne cesse de baisser alors qu’il est à la hausse au Manitoba. De
plus, des différences importantes existent sur le plan des catégories d’immigration, le Manitoba
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accueillant notamment un plus grand pourcentage de réfugiés (plus d’un quart de son
immigration en 2013).
Les formes de gouvernance communautaires sont également spécifiques et façonnent les
stratégies de recrutement, d’accueil et d’intégration, et réciproquement. Non seulement ces
stratégies influencent l’étendue et le type de services délivrés aux immigrants francophones, mais
elles ont aussi un impact sur les organismes prestataires de services, et au final restructurent les
formes de gouvernance communautaire.
Pour comparer les capacités d’accueil des communautés francophones en situation minoritaire au
Manitoba et en Colombie-Britannique, nous avons distingué trois critères principaux : offre de
services d’accueil et d’intégration (i) ; clientèles (ii) ; structure organisationnelle de la
communauté, incluant les relations avec les organismes d’accueil et d’intégration de la
communauté de langue officielle majoritaire (iii).
Le Manitoba a considéré l’immigration francophone comme un domaine d’action publique plus
tôt que la Colombie-Britannique. Dès le début des années 2000, la Société franco-manitobaine
(SFM) et l’ensemble des organismes francophones manitobains se sont mis d’accord sur un plan
communautaire Agrandir notre espace francophone. Province qui n’attire pas « naturellement »
beaucoup d’immigrants, la province du Manitoba a dès le départ mis l’accent sur les stratégies
d’attraction et recrutement d’immigrants francophones en partenariat avec les organismes
communautaires. À l’inverse, bassin d’attraction des immigrants, la Colombie-Britannique a mis
plus de temps à considérer l’immigration francophone comme un enjeu particulier, son premier
plan d’action datant du milieu des années 2000 seulement. Sans faire l’objet d’une consultation
communautaire comme dans le cas manitobain, la Colombie-Britannique embrasse les priorités
établies dans le Cadre stratégique de CIC de 2003 sans se doter d’une vision stratégique qui lui
soit propre.
Ces différences de stratégies se retrouvent dans l’offre des services. En ce qui concerne la
promotion à l’étranger et le recrutement d’immigrants, les communautés utilisent des outils
similaires (notamment Destination Canada, Avantage significatif francophone, achat de publicités
dans des magazines à l’étranger). Toutefois, l’attitude proactive des communautés manitobaines
transparaît à travers certaines pratiques qui lui sont propre : recrutement dans les pays
francophones dès la fin des années 1990, visites exploratoires au Manitoba, recrutement
d’étudiants internationaux et ententes de parrainage de réfugiés.
En termes d’accueil et d’établissement, les stratégies provinciales sont aussi distinctes. Au
Manitoba, l’Accueil francophone constitue depuis 2003 le guichet unique pour les services en
établissement destinés aux nouveaux arrivants d’expression française. En Colombie-Britannique,
la création de l’Agence francophone pour l’accueil et l’intégration des immigrants (AFAI) en
2008 a comblé un vide concernant l’accueil des nouveaux arrivants d’expression française mais
n’a jamais offert de services en établissement, ces derniers étant prodigués par des employés
francophones ou bilingues au sein d’organismes anglophones. Avec des capacités en
établissement désormais reconnues par le gouvernement fédéral à la suite du rapatriement des
services en établissement, les organismes franco-colombiens offrent des services en établissement
dans trois guichets répartis dans la province. En comparaison, les impacts de la recentralisation
des services sur la prestation semblent pour le moment limités concernant au Manitoba.
En ce qui concerne les clientèles, les organismes communautaires cherchent à couvrir l’ensemble
des services destinés aux francophones et francophiles mais aussi à les adapter à une clientèle
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variée avec des besoins différenciés. Dans les deux provinces, il existe une répartition implicite
des différentes clientèles entre les organismes. Toutefois, le rapatriement des services
d’établissement a restreint la définition de la clientèle éligible et a eu un impact important dans la
prestation de services pour les deux communautés (en particulier pour les étudiants
internationaux et les travailleurs temporaires). D’autre part, la recentralisation a eu tendance à
augmenter la concurrence entre les organismes.
En termes de gouvernance communautaire, le rapatriement des services a changé la donne dans
les deux provinces. Dans le cas manitobain, c’est la perte d’une certaine culture de travail qui fait
l’objet de craintes et de questionnements. Dans le cas britanno-colombien, la reconnaissance des
capacités d’accueil s’est accompagnée de débats sur la légitimité d’un organisme porte-parole à
délivrer des services directs aux nouveaux arrivants d’expression française.
A l’instar des gouvernements fédéral et provinciaux, les communautés de langue officielle en
situation minoritaire au Manitoba et en Colombie-Britannique considèrent l’immigration comme
une ressource (démographique, linguistique, et économique). De la même manière que
l’immigration est un instrument de construction nationale et provinciale pour les gouvernements,
l’immigration francophone joue un rôle central du point de vue du développement
communautaire. Toutefois, ce qui n’a pas été toujours anticipé est comment l’immigration a
exacerbé la concurrence entre acteurs qui cherchent tous à en maximiser les bénéfices. Ce faisant,
les immigrants ont été la source de tensions et de restructurations intergouvernementales et
communautaires.
Le rapport se conclue par une liste de recommandations politiques.
Typologie des capacités d’accueil des CFSM Analyse comparée de la Colombie-Britannique et du Manitoba
Description
Type de document
Documents communautaires et gouvernementaux
Auteur
Aude-Claire Fourot
Langue
Français